Lettre à la vice-première ministre et ministre des finances Chrystia Freeland concernant la publication prochaine de la déclaration économique d’automne.

Madame la Vice-Première Ministre, 

Dans quelques semaines, vous publierez l’Énoncé économique de l’automne de votre gouvernement. L’Énoncé présentera aux Canadiens un aperçu des perspectives économiques et financières dans un contexte de grande incertitude géopolitique à l’étranger et de détérioration des conditions économiques au pays. 

Les attaques du Hamas en Israël il y a près de deux semaines et la violence qui en résulte nous ont tous profondément ébranlés. Tragiquement, le Moyen-Orient n’est que la région la plus récemment touchée par les conflits armés et la mort de civils innocents. En Europe, le courageux peuple ukrainien se bat depuis près de deux ans contre les attaques injustifiées de la Russie.

Dans la région Indo-Pacifique, le Canada se trouve plongé dans des tensions géopolitiques impliquant les deux pays les plus peuplés du monde, la Chine et l’Inde, qui découlent d’allégations d’ingérence étrangère des plus graves. Partout dans le monde, des acteurs étatiques et non étatiques ciblent l’économie canadienne par le biais de cyberattaques de plus en plus sophistiquées visant des individus, nos entreprises et nos infrastructures essentielles. 

L’état du monde actuel nous rappelle la fragilité inhérente de notre ordre international et de l’économie mondiale. Pour un pays comme le Canada, qui a été une nation commerçante avant même la Confédération et un champion du multiculturalisme et du multilatéralisme, des chocs géopolitiques comme ceux-ci ont un impact profond. Le contexte mondial ne fait qu’aggraver les difficultés auxquelles nous étions déjà confrontés sur le plan national.

Lorsque j’ai écrit au premier ministre à la fin du mois d’août, quelques jours avant la retraite du Conseil des ministres, j’ai fait valoir que notre économie nationale commençait à ressentir le poids des taux d’intérêt élevés, de la faible productivité et de l’inflation persistante. Depuis lors, l’inflation est restée obstinément élevée, la productivité a baissé pendant plusieurs trimestres et les taux d’intérêt continuent d’augmenter après des mois de resserrement important de la politique monétaire par la Banque du Canada. Le rendement de l’obligation à 10 ans du gouvernement canadien avoisine désormais les 4 %, alors qu’il était de 2,8 % il y a six mois. C’est un signe clair que les marchés obligataires ne s’attendent pas à une réduction des taux d’intérêt de la part de la banque centrale dans un avenir proche. Cela signifie également que les coûts du service de la dette demeureront beaucoup plus prohibitifs que ce qui avait été prévu dans le Budget de 2023. En outre, il semblerait que la révision des programmes à laquelle vous vous êtes engagé soit en fait une action de réaffectation mineure sans réelles économies pour le cadre budgétaire.

Bien que nous ayons évité une récession jusqu’à présent, le risque de récession reste important au cours des prochains trimestres. Au mieux, les prévisions des économistes du secteur privé indiquent une croissance nulle en 2024 et très faible par la suite. Cela laisse présager des taux d’intérêt plus élevés pendant plus longtemps afin de contenir une inflation tenace. Qu’il y ait ou non une récession technique ne sera pas d’un grand réconfort pour les Canadiens — qui subissent déjà une hausse du coût de la vie. Fait alarmant, un sondage récent a révélé que 65 % des personnes interrogées croient que la prochaine génération aura un niveau de vie moins élevé.

Outre ces développements importants, votre gouvernement envisage également de nouvelles dépenses structurelles pour le logement et un nouveau programme national d’assurance-médicaments. Aussi précieuses et importantes que soient les mesures envisagées, les financer avec de l’argent emprunté n’est pas judicieux et ne fera qu’exacerber la précarité de nos finances publiques. 

Les taux d’intérêt à long terme étant les plus élevés depuis des années, il est irresponsable de suggérer que la croissance économique sera supérieure aux taux d’intérêt dans les années à venir. Les gouvernements ne peuvent plus afficher sans crainte des déficits importants et permanents. L’ère des faibles taux d’intérêt n’est plus, et c’est une réalité que le gouvernement doit prendre en compte. 

C’est pourquoi nous continuons à vous exhorter à adopter un nouveau point d’ancrage budgétaire crédible, qui limiterait les coûts du service de la dette à un maximum de 10 % des recettes à l’avenir. Ce faisant, vous préserverez la capacité du gouvernement à financer les programmes sur lesquels les Canadiens comptent et vous éviterez de faire peser une charge fiscale excessive et injuste sur les générations futures.

L’augmentation des dépenses financées par le déficit à des taux d’intérêt plus élevés conduira éventuellement et inévitablement à des niveaux d’endettement qui obligeront les gouvernements futurs à réduire les dépenses et à augmenter les impôts. L’économie s’en trouvera affaiblie et les entreprises désireuses d’investir, d’embaucher et de se développer au Canada seront confrontées à une grande incertitude. Elle mettra également en péril les programmes sociaux auxquels les Canadiens sont attachés. C’est précisément ce que nous devons éviter. 

De même, nous exhortons le gouvernement à aller de l’avant avec les mesures de stimulation de la croissance annoncées dans le Budget de 2023, telles que votre engagement à présenter un plan concret sur la réforme des permis d’ici la fin de l’année et à accélérer la mise en œuvre de mesures et d’incitatifs en faveur de la transition énergétique.

À la suite de la décision de la Cour suprême de la semaine dernière sur la Loi sur l’évaluation d’impact, il est essentiel que votre gouvernement agisse rapidement pour apporter clarté, certitude et prévisibilité sur les règles applicables aux grands projets. Nous ne devons pas perdre des investissements commerciaux qui n’arrivent qu’une fois par génération et qui sont nécessaires pour réduire nos émissions et favoriser la croissance économique au profit de tous les Canadiens. 

Nous vivons une époque incertaine. Il faut faire preuve de plus de sérieux pour relever les défis qui se présentent à nous. Soyez assurés que les chefs d’entreprise canadiens feront leur part et soutiendront vos efforts pour relever le défi. 

Sincerement,

Goldy Hyder