Les travailleurs canadiens dans la cinquantaine et la soixantaine : oubliés et sous-utilisés
Publié par Scotiabank Economics
Les Canadiens sont actuellement confrontés à un large éventail de défis malgré, et en partie à cause, d’un environnement économique robuste. L’inflation, qui atteint des sommets depuis des décennies, la hausse des taux d’intérêt et la modération de l’activité sur le marché de l’habitation sont au cœur des préoccupations des Canadiens et, par conséquent, des politiciens. La grave pénurie de main-d’œuvre à laquelle sont confrontées les entreprises canadiennes a été quelque peu occultée par ces faits. En termes simples, il n’a jamais été aussi difficile d’attirer et de retenir les travailleurs dans ce pays. L’incapacité à remédier à ces pénuries constitue un obstacle majeur à la croissance actuelle et future : en utilisant des estimations approximatives du PIB réel par employé, le PIB pourrait augmenter de 11 milliards de dollars pour chaque tranche de 100 000 emplois créés. Si nous pouvions trouver un moyen de pourvoir le million de postes vacants qui existent actuellement, nous pourrions augmenter notre PIB de plus de 100 milliards de dollars, soit environ 5 % en présumant que la productivité moyenne reste la même. Le coût de ces postes vacants est énorme.
Il n’y a pas de solution facile à ce problème, et bien que l’immigration ait aidé et continuera d’aider, des efforts beaucoup plus importants sont nécessaires pour faire face à cette pénurie critique. Les gouvernements agissent de manière résolue pour accroître la participation des femmes au marché du travail par le biais de politiques ambitieuses visant à réduire les frais de garde d’enfants et à augmenter le nombre de places. Ces mesures sont les bienvenues. Nous estimons que des initiatives politiques audacieuses et ambitieuses sont également nécessaires pour que le Canada profite davantage de l’immense capital humain que représentent les Canadiens âgés. Trouver des moyens de retenir les travailleurs âgés sur le marché du travail canadien pourrait grandement contribuer à réduire les graves pénuries de main-d’œuvre auxquelles nous sommes confrontés depuis quelques années.
Le défi
Tous les sondages effectués auprès des entreprises indiquent que les pénuries de main-d’œuvre constituent le principal défi commercial auquel elles sont confrontées. Le sondage mensuel Baromètre des affaires de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante révèle que près de 55 % des entreprises affirment que la pénurie de travailleurs qualifiés limite leur capacité à augmenter leurs ventes et leur production. La pénurie de travailleurs semi-qualifiés limite la capacité d’augmenter les ventes et la production dans 38 % des entreprises. Ces facteurs dominent largement les autres défis auxquels sont confrontées les entreprises. Dans un récent sondage du Conseil canadien des affaires, 81 % des grandes entreprises interrogées déclarent avoir dû faire appel à l’immigration pour pourvoir des postes vacants. Le plus récent sondage de la Banque du Canada sur les perspectives des entreprises révèle que 40 % des entreprises interrogées font état de pénuries de main-d’œuvre et que l’intensité de ces pénuries avoisine des niveaux records.
Ces données de sondage sont confirmées par les données officielles du marché du travail. En mars 2022, il y avait plus d’un million (1 012 900) de postes vacants – un record. Ces postes vacants s’élevaient à un peu plus de 500 000 avant la pandémie, lorsque la pénurie de main-d’œuvre était également jugée comme un défi majeur. Près d’un poste sur 17 est vacant au Canada. De plus, ces postes vacants sont très répandus puisqu’on en trouve dans pratiquement toutes les industries et régions. Le nombre de postes vacants a augmenté de 22,6 % (+186 400) en mars et de 60,5 % (+382 000) par rapport au mois de mars 2021.
La poussée des postes vacants résulte presque entièrement de la hausse de la demande de main-d’œuvre, le nombre d’employés dépassant désormais les niveaux prépandémiques. Le taux d’emploi se situe à peu près à son niveau le plus élevé depuis la Grande crise financière. Le taux d’activité est légèrement inférieur à ce qu’il était avant la pandémie, mais cette baisse est entièrement attribuable aux Canadiens de 60 ans et plus qui ont quitté la population active, car le taux d’activité des Canadiens de toutes les autres tranches d’âge est près ou bien supérieur à celui observé avant la pandémie.
Il existe un certain nombre de facteurs structurels à l’origine de la pénurie de main-d’œuvre. Le plus important est sans doute le vieillissement de la population. La population en âge de travailler (de 15 à 64 ans) vieillit et vieillit vite. De 2016 à 2021, le nombre de personnes âgées de 65 ans et plus a augmenté de 18 %. Il s’agit de la deuxième plus forte augmentation en 75 ans, après celle observée de 2011 à 2016. Le vieillissement de nombreuses cohortes de baby-boomers – dont les plus jeunes ont entre 56 et 64 ans aujourd’hui – accélère le vieillissement de la population en général. Pensez-y : en 2021, l’Ontario a accueilli environ la moitié de tous les nouveaux résidents permanents canadiens. Mais bien qu’il s’agisse de la puissance d’immigration du pays, le taux d’activité de l’Ontario a eu tendance à baisser en raison de la proportion croissante de travailleurs âgés (55 ans et plus) dans la population active, qui ont tendance à avoir des taux d’activité plus faibles que les autres cohortes en âge de travailler.
Quelques chiffres illustrent l’ampleur de l’occasion qui se présente ici. Même si les taux de participation des Canadiens âgés ont généralement augmenté au fil du temps, cette tendance a été interrompue par la pandémie, et le taux de participation des travailleurs dans la cinquantaine et la soixantaine reste bien inférieur à celui des jeunes Canadiens.
Tableau 1 : Canada – Participation au marché du travail par groupe d’âge
Groupe d’âge: | 25 à 54 | 50 à 54 | 55 à 59 | 60 à 64 | 65 à 69 |
---|---|---|---|---|---|
Taux de participation (%): | 88,3 | 86,8 | 76,8 | 56,6 | 28,6 |
Il y a d’énormes avantages à ralentir le déclin de la participation au marché du travail des Canadiens vieillissants ou à combler l’écart entre les hommes et les femmes. Pour illustrer les répercussions possibles sur la main-d’œuvre, nous faisons l’hypothèse, certes extrême, que le taux de participation dans les cohortes d’âges du tableau ci-dessous est fixé à celui de la cohorte d’âge qui la précède immédiatement. Par exemple, si le taux de participation des personnes de la tranche d’âge de 55 à 59 ans était égal à celui de la tranche d’âge de 50 à 54 ans, 259 000 personnes de plus feraient partie de la population active.
Tableau 2 : Canada – Augmentation potentielle de la main-d’œuvre
Groupe d’âge: | 55 à 59 | 60 à 64 | 65 à 69 | Total |
---|---|---|---|---|
Travailleurs (en milliers): | 259,0 | 521,9 | 630.3 | 1 411,2 |
Selon ces hypothèses, il pourrait y avoir jusqu’à 1,4 million de personnes supplémentaires travaillant ou cherchant un emploi. Rappelons qu’il y a actuellement 1 million de postes vacants. Il est évidemment irréaliste d’espérer atteindre un tel résultat, mais cela illustre l’ampleur de cette occasion. Avec les bonnes politiques et mesures incitatives, il y a probablement des centaines de milliers de Canadiens qui pourraient rejoindre ou réintégrer le marché du travail.
L’immigration est sans aucun doute un élément important pour aider à combler la pénurie de main-d’œuvre, et elle a l’avantage supplémentaire d’avoir un effet de rajeunissement sur le profil démographique du Canada. Mais l’immigration ne peut pas résoudre nos pénuries de main-d’œuvre dans un avenir prévisible. Nous avons trop compté sur l’immigration pour relever nos défis en matière de main-d’œuvre.
Nous croyons que les Canadiens âgés constituent une source de main-d’œuvre gravement sous-utilisée et négligée. Les politiques devraient être conçues pour encourager les Canadiens âgés à rester dans la population active. Bien que de nombreuses personnes prennent la décision personnelle de prendre leur retraite à 65 ans, il existe des incitations fiscales que les décideurs pourraient employer pour garder dans la population active les personnes qui peuvent et veulent travailler. Tout d’abord, le gouvernement fédéral pourrait offrir un crédit d’impôt remboursable pour l’extension de carrière. Ce crédit devrait être suffisamment important pour influer sur le choix des travailleurs. Le gouvernement du Québec a récemment introduit un crédit d’impôt non remboursable pour l’extension de carrière, mais il est relativement modique, avec un maximum de 1 650 $ par travailleur de plus de 65 ans. Ensuite, le gouvernement fédéral pourrait ajuster le taux de récupération des paiements de la Sécurité de la vieillesse pour les Canadiens âgés de 65 à 67 ans afin qu’ils ne soient pas trop pénalisés pour avoir gagné un revenu d’emploi pendant ces deux années. Actuellement, le seuil de revenu pour la récupération de la SV (ou impôt de récupération) est d’environ 80 000 $ par année. Ce seuil pourrait être augmenté afin qu’il y ait un incitatif financier à repousser la retraite. Enfin, le gouvernement pourrait revenir sur sa décision de ramener la Sécurité de la vieillesse de 67 à 65 ans. Cette décision a eu des répercussions financières considérables à moyen et à long terme, tout en encourageant les travailleurs à prendre leur retraite plus tôt.
Il pourrait également être utile d’élaborer des politiques ciblées pour encourager les Canadiens de moins de 65 ans à rester sur le marché du travail. Bien que les gouvernements n’aient pas activement utilisé les âges inférieurs à 65 ans dans la conception de la fiscalité, des réductions d’impôt ciblées pour les personnes d’une certaine tranche d’âge ou des paiements forfaitaires aux personnes d’une certaine tranche d’âge ou de revenu pourraient inciter à une plus grande participation au marché du travail. Étant donné le manque d’expérience avec de telles politiques, c’est le genre d’innovation politique qui se prêterait bien à l’expérimentation pour identifier la bonne combinaison d’incitations pour maximiser la rétention des travailleurs.
Les entreprises ont également une responsabilité importante en matière de rétention des talents. Les programmes internes de recyclage et d’amélioration des compétences, ainsi que les modalités de travail adaptées aux Canadiens plus âgés et les incitations financières visant à retenir les talents, sont essentiels au succès des entreprises et aux gains de productivité.
Conçues correctement, les mesures qui augmentent de façon importante la participation des Canadiens âgés au marché du travail pourraient contribuer grandement à remédier aux pénuries de main-d’œuvre. De plus, de telles mesures pourraient avoir l’avantage d’avoir des répercussions quasi instantanées sur l’offre de main-d’œuvre à un moment où l’on a cruellement besoin de travailleurs.