Publié dans La Presse

Fort d’un nouveau mandat électoral, le premier ministre du Québec, François Legault, a déjà hâte d’en découdre avec son vis-à-vis canadien sur l’enjeu de l’immigration.

Même si le Québec dispose déjà des principaux leviers lui permettant de choisir ses immigrants en vertu d’une entente fédérale-provinciale qui date de l’époque du gouvernement Bourassa, M. Legault n’est pas en reste : « Si les Québécois veulent que le gouvernement du Québec ait plus de pouvoirs en immigration, il n’y a personne qui va pouvoir résister à ça », a déclaré le premier ministre la semaine dernière. On sent bien que pour M. Legault, les lois 21 et 96 ne signalaient que la période de réchauffement. La partie s’annonce rude.

Dans l’ouest du pays, l’élection de Danielle Smith comme nouvelle cheffe du United Conservative Party (UCP) et de facto première ministre de l’Alberta annonce aussi un automne chaud. Le Sovereignty Act, un des principaux engagements de Mme Smith, donnerait à l’Assemblée législative de l’Alberta le pouvoir de déclarer que la province n’appliquerait pas les lois fédérales qui, selon elle, empiètent sur les compétences provinciales. En somme, la loi conférerait aux législateurs provinciaux un droit de veto sur les lois fédérales.

Les tensions entre le gouvernement fédéral et les provinces sont inhérentes au fédéralisme canadien. On ne peut pas reprocher aux premiers ministres provinciaux de se porter à la défense de l’autonomie provinciale et de réclamer des transferts fédéraux plus généreux.

C’est de bonne guerre. Dans le cas du Québec, il existe un large consensus canadien quant au rôle historique et unique du gouvernement du Québec quant à la protection de la langue française. L’ancien ministre Stéphane Dion a déjà dit que la loi 101 est une grande loi canadienne. Il avait raison, et c’est la force du modèle canadien : un fédéralisme décentralisé qui reconnaît aux provinces des pouvoirs exclusifs dans les domaines névralgiques tels que la santé, l’éducation et la gestion des ressources naturelles.

UNE SOUVERAINETÉ DE FACTO

Mais dans les deux cas qui nous préoccupent, les gouvernements Legault et Smith nous amènent ailleurs. Ce qu’ils proposent en somme, c’est un fédéralisme unidirectionnel. Le raisonnement est simple et limpide : s’approcher le plus possible de la souveraineté sans le souci de la validation des citoyens et des référendums. Une souveraineté de facto par rapport à de jure.

Par définition, l’idée fédérale exige une certaine réciprocité, un esprit de compromis. Par-dessus tout, elle exige une participation active des États fédérés aux affaires nationales. On peut difficilement se prétendre fédéraliste et refuser systématiquement de s’intéresser à ce qui se passe au-delà de nos frontières provinciales. Ce n’est pas seulement dommageable pour l’unité du pays, c’est une abdication du poids politique du Québec et de l’Alberta à l’intérieur du gouvernement fédéral. Ainsi, on marginalise en quelque sorte le rôle des députés fédéraux provenant de ces deux provinces.

La logique selon laquelle le gouvernement fédéral « doit » constamment acquiescer à plus de pouvoirs et de ressources au Québec et à l’Alberta doit atteindre sa limite raisonnable.

Elle n’est pas viable à long terme si l’objectif est de garder le pays uni. S’il venait à se dépouiller de toute sa pertinence dans la gouverne du Canada, quelles raisons le gouvernement fédéral aurait-il d’exister ? L’asymétrie dans une dynamique fédérale a aussi ses limites : comment faire accepter aux citoyens des autres provinces qu’au niveau fédéral ils auraient moins de pouvoirs sur les Québécois et Albertains que ceux-ci en auraient sur eux ?

L’idée n’est pas de prétendre que le gouvernement fédéral doit fermer les yeux devant les revendications légitimes des provinces et territoires et prétendre que tout va bien. Il est évident qu’il doit faire preuve d’humilité et faire en sorte que les préoccupations des gouvernements québécois et albertain soient entendues et débattues. Mais soyons vigilants : la logique de fédéralisme unidirectionnel enlèvera tôt ou tard toute légitimité au gouvernement fédéral dans la gouverne du Canada. Il nous faut rejeter ce nouveau faux fédéralisme.